Rien pourtant ne réjouira l’âme autant qu’une fidèle et douce amitié.
Quel immense bienfait que d’avoir à notre disposition des cœurs où
Tout secret pénètre en sûreté, dont nous redoutions la conscience moins
Que la nôtre, dont la conversation adoucisse nos inquiétudes, dont l’avis
Eclaire notre volonté, dont la gaieté dissipe notre tristesse, des amis dont
La vue même nous fasse plaisir ! Nous les choisirons, autant que possible,
Exempts de passions : car les vices rampent de proche en proche ; ils se
Passent au voisin, et leur contact est nuisible. C’est pourquoi, de même que
Dans une épidémie de peste, il faut se garder de s’asseoir auprès de gens
Déjà atteints et en proie à la maladie, parce que nous la contracterions et que
Leur haleine même nous rendrait malades, de même en choisissant nos amis,
Faisons attention à les prendre d’un caractère aussi peu que possible. C’est
Vouloir déclencher la maladie que de mélanger les parties saines avec les
Malades. Oh ! je ne te prescrirai pas de ne suivre ou de n’attirer vers toi que
Des sages ; où trouverais-tu celui qu’on cherche depuis tant de siècles ? En
Guise du meilleur, prends le moins mauvais. Tu aurais à peine la possibilité
D’un choix plus heureux, si tu cherchais les gens de bien parmi les Platon,
Les Xénophon, et toute la lignée des rejetons de Socrate, ou si tu pouvais
Avoir sous la main le siècle de Caton qui produisit en majorité des hommes
Dignes de naître à l’époque de Caton (mais d’autres aussi, pires qu’on en vit
Jamais ailleurs, et responsables des crimes les plus grands ; car il en fallait
Une foule d’un côté comme de l’autre, pour qu’un Caton se pût concevoir ;
Il lui fallait des bons capables de l’apprécier, et des méchants sur qui éprouver
Sa force). Mais aujourd’hui, en une telle pénurie d’honnêtes gens, soyons
Moins exigeants dans notre choix. Ne manquons pourtant pas d’éviter les
Gens tristes, qui pleurent sur tout et qui trouvent partout des sujets de plaintes ;
Même si sa fidélité et sa bienveillance ne se démentent pas, un compagnon
Agité et toujours gémissant n’est pas ce qu’il faut à notre tranquillité.
Fait à Neuilly le 29 Mars 2012
Fabrice Duniach